Ce lundi 10 novembre, nous partons pour Linz afin de visiter divers endroits (comme le camp de Mauthausen, le château d’Hartheim, etc.) liés à la résistance et aux horreurs commises contre les personnes différentes (par rapport à l’idéal nazi).
Par cette publication, nous tenons à remercier le Lions Club Cathédrale de Tournai grâce auxquels nos élèves ont pu profiter de quatre activités préparatoires (conférence à Ghlin, randonnées mémoire à Tournai et Charleroi, témoignage d’une rescapée des camps et visite du Fort de Breendonck) pour avoir les connaissances nécessaires avant le départ.
Nous voulons aussi grandement remercier le Rotary Club de Tournai qui a financé en très grande partie le coût du voyage (pulls, hébergement, car, visites guidées, etc.) pour nos élèves.
Ces investissements dans un projet pédagogique exceptionnel (mélangeant des enfants issus d’un Athénée, d’un Institut d’enseignement Spécialisé et d’une ASBL s’occupant du décrochage scolaire) montrent toutes les valeurs humanistes de ces associations et leur désir de participer à la transmission de la mémoire.
Pour l’Athénée Royal Robert Campin de Tournai, Mr Heyte & Mr Baudoin.
Étape 1 – Camp de concentration de Mauthausen
Nous sommes bien arrivés hier soir à Linz et nous avons pu nous installer dans l’auberge de jeunesse qui sera notre lieu d’accueil pour deux soirs.
Ce matin, guidés par Claude Carembaux (du War Heritage Institute) et Michel Descamps (de Hainaut Mémoire), nous sommes partis sur les traces des crimes commis par les nazis. Après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938, Hitler veut emprisonner tous les opposants politiques de son pays d’origine.
Le camp de Mauthausen sera ouvert en 1938 et plusieurs fois agrandi jusque 1945 et sa libération par l’armée américaine. Au départ prévu pour 8000 à 10000 prisonniers, il comptera en 1945 jusqu’à 100000 prisonniers suite aux marches de la mort. Les baraquements pouvaient contenir logiquement 300 prisonniers, ils seront 2000 à devoir partager un espace exigu où la pudeur et l’hygiène n’existent plus depuis longtemps.
À leur arrivée au camp, les prisonniers étaient « accueillis » d’une manière très extrême : au garde-à-vous durant des heures, subissant des coups de la part des gardes SS, ils pouvaient voir les corps d’autres prisonniers attachés à un mur (surnommé mur des lamentations) et sur lesquels les SS avaient jeté de l’eau avant la nuit glaciale de l’hiver. Les nouveaux arrivants étaient donc confrontés à des cadavres glacés qui gisent là toute la journée, ce qui leur donnait déjà une idée de ce qu’ils allaient vivre dans cet enfer.
Une fois ce premier calvaire passé, ils prenaient la direction de la blanchisserie pour se voir donner un uniforme rayé. Dans une perspective de déshumanisation de la part de leurs tortionnaires, ils se voyaient alors attribuer un numéro de matricule à retenir et un triangle distinctif (rouge pour les opposants politiques et les résistants, marron pour les gens du voyage, rose pour les homosexuels, vert pour les criminels de droit commun qui devenaient souvent des Kapo, des surveillants de prisonniers parfois pires que les SS eux-mêmes). Mauthausen a aussi compté des prisonniers au triangle bleu, notamment 7000 Espagnols républicains chassés de leur pays par la prise de pouvoir de Franco suite à la guerre civile (1936-1939). À la libération du camp, ces patriotes opposés au fascisme ne pourront revenir dans leur pays car le Caudillo (équivalent du Führer) dirigera son pays d’une main de fer jusque 1975.
Les Juifs seront deportés à Mauthausen à partir de 1941. Ils reçoivent moins de nourriture et des vêtements moins chauds que les autres prisonniers. 355 Belges seront aussi emprisonnés dans ce camp de concentration qui est considéré comme un des pires. Classé dans la catégorie 3 (comparé à Auschwitz qui n’est « que » de catégorie 1), indiquant un « retour non souhaité » pour les prisonniers, la mortalité y est énorme, plus de 60%. Un des faits marquants sera l’évasion de 450 prisonniers soviétiques en 1945. 320 seront repris, torturés et éliminés.
Le camp de Mauthausen comprend plusieurs fours crématoires (pour brûler les corps des prisonniers morts d’épuisement ou simplement tués par le sadisme des gardes) et une petite chambre à gaz (où étaient exterminés les prisonniers inaptes au travail). Une salle comprenant tous les noms des personnes décédées à Mauthausen leur rend hommage.
À Mauthausen, les prisonniers étaient contraints à l’épuisement total par le travail. Une carrière de granit se trouvait au pied du camp et, tous les jours, quasiment du lever au coucher du soleil, ils devaient effectuer un travail physique harassant malgré la maigre alimentation reçue de leurs geôliers. On estime que les prisonniers perdaient 15 kilos par mois dans un camp, à la Libération le poids moyen d’un prisonnier était de 29 kg.
Chaque soir, après une journée épuisante, il fallait remonter un escalier très raide, avec des chaussures de mauvaise qualité et sous les coups des SS, de 186 marches avec une pierre de 60 kg dans le dos. Malheur à celui qui faisait tomber sa pierre ou qui tombait en arrière emporté par le poids de sa charge pesant plus que lui. Cette pierre à ramener en haut ne servait strictement à rien, simplement à exprimer le sadisme des nazis. Un autre exemple de leur folie est « le mur des parachutistes » : au sommet de la carrière, les SS faisaient se battre deux prisonniers ensemble, deux frères, un père et un fils, et le gagnant devait jeter le perdant du sommet, le condamnant à une mort inévitable et à un sursis pour lui.
Cette première visite fut déjà un choc face à toute l’horreur que peut imaginer l’être humain.
Étape 2 : le château d’Hartheim
Après la visite du camp de Mauthausen ce matin, Johan Puttmans, de la Fondation Auschwitz, doctorant de l’Université de Gand, nous a raconté les horreurs commises dans ce château datant du XVIIe siècle.
Dans l’optique de créer une race aryenne supérieure, se basant sur la théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin apparue au XIXe siècle, Hitler développe une optique eugéniste à travers sa politique prévue pour un Reich millénaire : après la première guerre mondiale, il voudrait que l’Allemagne ne soit composée que de personnes fortes, les personnes considérées comme faibles devront être supprimées. Il énonce déjà cette idée dans son livre « Mein Kampf » écrit durant son séjour en prison après sa tentative de putsch.
Dans un premier temps, après son arrivée en pouvoir en 1933, il fait appliquer une loi de stérilisation pour les personnes « inférieures » (les sourds, les aveugles, les « arriérés », etc.). Ces particularités sont vues comme des maladies héréditaires qui doivent disparaître au sein de la « race » allemande. Mais Hitler veut aller plus loin et espère une guerre pour supprimer tous ceux qu’ils considèrent comme inutiles pour l’Allemagne. À travers la propagande développée sur des affiches, à travers des films et même des exercices de mathématiques proposés à l’école, les nazis veulent montrer l’économie (pour l’Etat et tout citoyen allemand « normal ») qui pourrait être réalisée si ces personnes disparaissaient.
Dès le début de la Seconde Guerre Mondiale, le 1er septembre 1939, après l’invasion de la Pologne pour un faux prétexte, Hitler donne l’ordre secret d’organiser l’euthanasie des « idiots non productifs » placés dans les asiles psychiatriques. En se basant sur des statistiques, les nazis estiment qu’il faut supprimer 70000 personnes. Il faut donc trouver une nouvelle méthode pour tuer autant de gens dans le moins de temps possible. Les universitaires allemands, plus spécialement les chimistes, conseillent d’utiliser le gazage en enfermant les gens dans des pièces closes dans lequelles le gaz venant d’un moteur d’un camion à l’extérieur expulsera du monoxyde de carbone. Le temps moyen d’un gazage est estimé à 20 minutes. Cette technique sera ensuite améliorée et industrialisée dans les camps d’extermination avec l’utilisation du Zyklon B.
Après avoir trouvé le moyen, ils cherchent alors les endroits les plus adaptés. En sus de 5 asiles allemands rassemblant déjà de potentielles futures victimes, le château d’Hartheim en Autriche, aussi déjà utilisé dans ce cadre, est choisi. Pour déterminer qui sera tué, l’Etat, s’impliquant maintenant officiellement, envoie des formulaires avec 3 questions principales. Si la personne est institutionnalisée depuis plus de 5 ans, si elle ne reçoit pas de visite régulière et si elle n’est pas capable de travailler, elle est alors en haut de la liste. L’avis de 3 médecins est alors demandé. Certains, respectant le serment d’Hippocrate, soucieux de l’avenir de leurs patients et ne sachant pas ce qui était prévu pour eux, répondront parfois non à la question du travail, pensant ainsi les faire échapper à des taches physiques. Ils ne se rendront compte que plus tard qu’ils les avaient ainsi condamnés à mort.
Une fois les listes établies et les transports organisés, les personnes handicapées (mentaux et physiques) sont amenées dans les centres, dont le château d’Hartheim, et gazés le jour même. Pourtant, la famille ne recevait le certificat de décès (avec un faux motif nécessitant une incinération) que trois mois plus tard. La famille, ignorant ce qui s’est passé, continuait ainsi à payer des soins pour quelqu’un qui est déjà mort… Le business de la mort n’était pas un problème pour les nazis. Si les familles veulent une urne funéraire, elles en reçoivent une mais avec des cendres d’autres personnes.
La chambre à gaz du château d’Hartheim pouvait contenir 50 à 60 personnes. 18629 personnes présentant un handicap y perdront la vie entre 1939 et 1941. Le 24 août 1941, Hitler stoppe cette opération d’euthanasie appelée « Opération T4 » car l’objectif des 70000 personnes tuées a été atteint. Les nazis estiment alors que la disparition de tous ces êtres humains a permis d’économiser plus de 3 milliards d’euros (logement, soins par les infirmiers, etc.) à l’Etat (qui est en guerre depuis deux ans).
Pour l’anecdote, un membre de la famille d’Hitler, une femme ayant le même arrière-grand père que le Führer, diagnostiquée schizophrène, a été gazée au château d’Hartheim. À partir de septembre 1941 jusque début 1945, plus de 50000 prisonniers du camp de Mauthausen (et des camps annexes), inaptes au travail car trop épuisés ou blessés, seront envoyés là pour être supprimés.
La visite s’est terminée par la lecture d’un extrait d’un livre « Cher oncle Georg » écrit par une Allemande qui s’est rendue compte après la guerre de l’implication du membre de sa famille en tant que médecin en second de Hartheim. Cet homme a aussi procédé à des sélections dans divers camps de concentration pour décider qui devait être supprimé. Dans l’extrait lu par Emma Durieux, élève de notre école, cet homme ne se considère pas coupable de tous les crimes dont il a été reconnu responsable et pour lesquels il a été condamné par la justice. Pour lui, il a « aidé à mourir » ces personnes.
La société se compose de personnes différentes et elles méritent toutes le même respect, nous espérons que cette leçon sera bien retenue par nos étudiants.
Étape 3 : Kommando d’Ebensee
Après le château d’Hartheim, nous avons visité un vestige d’un camp annexe de Mathausen, le Kommando d’Ebensee.
Installé dans les Alpes autrichiennes, ce camp comptait deux parties : des baraquements au pied de la montage pour les prisonniers et un camp de travail creusé dans la roche (afin d’éviter les bombardements). Dans un réseau de galeries comptant jusqu’à 10 km, les Allemands voulaient y cacher leur production industrielle nécessaire à l’effort de guerre (carburant artificiel, construction de parties de chars, etc.).
Le camp compta jusqu’à 16000 détenus le jour de sa libération le 6 mai 1945. Les cadences y étaient infernales : divisés en deux équipes (nuit et jour), les prisonniers travaillaient pendant 12 heures d’affilée. Ils étaient chargés de sortir les pierres, issues de l’excavation, sur des wagonnets. Malgré ce travail physique épuisant, ils recevaient encore moins de nourriture que dans le camp principal.
Les derniers mois, 250 à 300 personnes meurent quotidiennement. La veille de la libération, le commandant du Kommando avait prévenu que les prisonniers devraient se réfugier dans les galeries en cas de bombardement. Il avait en fait prévu, avant de s’enfuir avec les autres SS, de dynamiter les entrées pour que cet endroit devienne leur tombeau. Prévenus par un officier allemand désabusé par la guerre et à qui il avait été imposé d’enrôler l’uniforme SS, les prisonniers refusèrent malgré les brimades.
Le camp annexe est libéré par les troupes américaines. Eisenhower, général en chef des troupes alliées, viendra sur place et sera abasourdi par l’horreur vue. Il demandera à des journalistes et photographes américains de venir sur place afin que le peuple des Etats-Unis soit au courant des atrocités commises et sache pourquoi ils ont dû entrer en guerre afin de libérer l’Europe.
Malheureusement, un grand nombre de prisonniers ne survivront pas à leur état d’épuisement et certains mourront en mangeant des plats trop gras après avoir été privés autant de temps d’une alimentation normale.
Nous arrivons maintenant à l’hôtel pour nous reposer après cette journée bien chargée mais pleine de sens.
Étape 4 : Camp, ghetto et mémorial de Terezin
Ce matin, nous sommes partis de Linz et sommes arrivés en Tchéquie. Après une bonne matinée de car et un dîner bien mérité, nous avons pu découvrir l’histoire de Terezin.
Suite à l’annexion de l’Autriche en 1938, Hitler exige qu’une partie de la Tchécoslovaquie, pays de l’époque comprenant une minorité allemande, soit rattachée au Reich. Pour éviter la guerre, les autres pays européens, comme l’Angleterre et la France, cèdent face aux demandes du Führer. Suite à un accord diplomatique, le pays entier est donc envahi par l’armée allemande.
Le camp de Terezin peut être comparé au Fort de Breendonck près de Malines. En effet, comme en Belgique lorsque les Allemands occupent notre pays, les nouveaux maîtres du territoire cherchent un endroit pour enfermer les opposants politiques et les résistants. Ils choisissent alors la ville de Terezin, datant du XVIIe siècle, qui est entourée de fortifications militaires et comprend une immense caserne.
Cette dernière fera office de camp de transit, comme à Breendonck. 32000 personnes y passeront jusqu’à sa libération en 1945. Comme dans le fort belge, les prisonniers n’ont pas l’uniforme rayé des camps de concentration mais d’anciens uniformes de l’armée tchécoslovaque. Le motif de leur emprisonnement est connu au moyen d’un petit bout de tissu cousu : rouge et blanc pour les opposants politiques et résistants, jaune pour les juifs (qui ne sont pas là pour leur origine raciale mais parce qu’ils ont participé à des actions contre l’occupant nazi). Les prisonniers se voient assigner des taches physiques à l’extérieur du camp : assèchement de marais, travaux forestiers, entretien des routes, participation à l’industrie de guerre à partir de 1943, etc. Étonnement, ils pouvaient profiter de rares visites de membres de leur famille et de temps en temps recevoir des colis postaux. Seuls les hommes travaillent, pendant 12 heures d’affilée. 2500 personnes y décéderont à cause des mauvaises conditions de vie ou d’exécutions (par balle ou par pendaison).
Le camp est divisé en quatre quartiers ; le pire est le quatrième où une centaine de cellules individuelles sont installées. Dans cet endroit, les chambrées ,qui au départ devaient accueillir de 60 à 90 personnes, compteront entre 500 et 600 prisonniers à la fin du camp. Une épidémie de typhus se développera dans le quartier qui sera condamné par les SS. Les malades s’entassent dans les cellules qui deviennent des mouroirs.
Concernant la ville fortifiée de Terezin, lorsque les Allemands prennent possession de la ville, les habitants sont priés de partir. Sur ordre de Heydrich, chef SS dirigeant le pays, les occupants transforment alors la cité en ghetto qui devra accueillir les Juifs Allemands handicapés (aveugles, sourds) et décorés (qui ont combattu bravement lors de la première guerre mondiale pour le pays germanique). Mais ce sera surtout l’endroit permettant de rassembler tous les Juifs tchécoslovaques raflés dans tout le pays. Le ghetto ouvre ses portes de l’enfer le 10 octobre 1941 : il est organisé et gouverné par un conseil juif qui doit obéir aux ordres donnés par les SS le surveillant. Conçu à la base pour accueillir 7000 personnes, il en comptera 56000 en mars 1942. 121000 y transiteront de 1941 à 1945, 88 000 seront déportés et 33000 y mourront. Les Juifs s’entassent à 8 par pièce, certains ne trouvent pas de place ou préfèrent dormir dehors pour éviter les maladies qui se propagent à l’intérieur des bâtiments de la ville.
En janvier 1942, la conférence de Wannsee débouche sur le déclenchement de la Solution Finale, à savoir l’extermination du peuple juif au moyen des chambres à gaz installées dans des centres d’extermination. Lorsque le ghetto de Terezin rassemble trop de gens, les Nazis les envoient vers Auschwitz.
En 1943, le gouvernement en exil du Danemark demande à la Croix Rouge, institution neutre, d’organiser une visite dans les ghettos et les camps afin que le monde sache ce qu’il s’y passe. Dans un but de propagande, les Nazis vont alors transformer le ghetto et le camp de Terezin en lieux « modèles ». Par exemple, la délégation ne visite que le bloc A (quartier 1) du camp qui comprend une infirmerie, une poste, une salle de douche, etc. À ce moment-là, les Juifs présents dans le ghetto comprennent un grand nombre d’artistes à qui on a demandé d’embellir la ville avec de grandes fresques murales colorées. Le problème de surpopulation, qui était monnaie courante mais aurait fait tache aux yeux de la délégation de la Croix Rouge, avait été réglé au préalable par la déportation d’un grand nombre de personnes vers les camps d’extermination.
En guise d’acte de résistance, plusieurs peintres réaliseront de manière cachée des toiles en noir et blanc afin de montrer la vérité sur la vie dans le ghetto de Terezin. Ils tenteront de faire passer, via la résistance tchèque, ces tableaux en Suisse mais certains seront interceptés. Pour les punir, les SS emmuront les peintres responsables, les déporteront ou leur casseront les mains (pour éviter qu’ils recommencent).
Dix mille enfants et adolescents transiteront par le ghetto de Terezin, 75% seront exterminés sans aucun remords tandis que les autres seront utilisés comme des esclaves dans les camps de concentration. Voulant garder un certain semblant de normalité et la culture étant considérée comme importante dans la communauté juive, un Opéra des enfants sera organisé au sein du ghetto. Pour pouvoir être joué, un rôle était appris par trois enfants différents (car le risque de déportation était très élevé).
Malgré que l’incinération soit contraire à la foi juive, un four crématoire sera installé aux portes du ghetto pour pouvoir brûler les corps des personnes décédées à l’intérieur. À cet endroit a été élevé un mémorial et cimetière juif. Les tombes juives ont une particularité : les gens n’y déposent pas de fleurs, car elles fânent et rappellent la mort, mais plutôt de petites pierres. Cela fait référence au périple de Moise qui a sauvé le peuple juif des griffes du pharaon qui les utilisait comme esclaves. Durant ce voyage, les personnes décédées étaient enterrées et, pour marquer l’emplacement de la tombe, on l’indiquait au moyen d’une pierre.
La journée fut encore riche en émotions et nous espérons que ces lieux, encore différents de ceux visités hier, auront encore apporté un peu plus de réflexion à nos élèves.
Nous arrivons maintenant à Prague avant la dernière journée de ce voyage mémoriel.
Étape 5 : le village martyr de Lidice
Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes allemandes en 1939, Reinhard Heydrich, un des pires SS de l’histoire, un des organisateurs de la Shoah, est nommé Protecteur de Bohème-Moravie. Le gouvernement tchèque en exil à Londres motive les réseaux de résistance à organiser son assassinat qui serait un coup dur pour le régime nazi. Deux soldats, un Slovaque et un Tchèque, sont entraînés en Angleterre, parachutés dans leur pays natal et cachés par des résistants jusqu’à ce qu’ils commettent leur attentat contre le « boucher de Prague » (surnom de Heydrich) le 27 mai 1942. Malgré un problème de matériel, le dirigeant nazi est touché par des éclats de grenade et mourra quelques jours plus tard d’une septicémie.
En réaction, voulant se venger, la Gestapo fait exécuter plusieurs centaines de personnes. Sur base de soupçons non confirmés, Hitler apprend que le village de Lidice aurait aidé et caché les deux soldats. Il ordonne alors de fusiller tous les hommes de ce village, de déporter toutes les femmes et enfants vers un camp de concentration. Parmi les plus jeunes de ces derniers, certains seront choisis, en fonction de certains critères aryens, pour être envoyés dans des familles allemandes n’ayant pas réussi à avoir d’enfants.
Le 2 juin 1942, le massacre de Lidice se produit.
Des troupes SS exécutent non seulement les ordres d’Hitler mais rasent aussi complètement le village, illustrant ainsi « l’éradication par le vide ». Les arbres ont été déracinés, les bâtiments détruits au moyen d’explosifs, les caveaux du cimetière exhumés et les corps replacés dans des fosses communes plus loin.
Une photo ci-dessous reprend les chiffres et toutes les horreurs vécues par les habitants de ce village dont certains survécurent et revinrent mais leur lieu de vie avait maintenant disparu.
La plupart des femmes ont été envoyées à Ravensbruck, le camp de concentration prévu pour les femmes. Ce camp a un lien particulier avec notre école puisque, à l’une des entrées de notre établissement scolaire, une plaque reprend le nom de deux anciennes élèves (de l’ancien Lycée des jeunes filles de Tournai devenu plus tard l’Athénée Royal Robert Campin) : Germaine Devalet et Liliane Blondeau étaient des résistantes belges qui furent envoyées pour mourir dans ce camp de l’horreur.
Certains enfants ayant survécu à ce drame ne savent plus parler le tchèque à leur retour car ils avaient été placés dans des familles allemandes ou parce que la langue de Goethe leur avait été imposée dans les camps où ils avaient été envoyés. Un des enfants de Lidice, qui avait à peine deux mois lors du drame mais qui survécut, ne connaîtra jamais les membres de sa famille.
C’est seulement en 1947 que le village renaît de ses cendres à quelques centaines de mètres de l’endroit initial. Le nom de ce village est connu mondialement puisque non seulement des villes dans des pays étrangers mais aussi des enfants le portent. Un mémorial et un musée sont construits et un monument en hommage aux enfants de Lidice est élevé. Les statues, se basant sur des photos transmises par des membres de la famille, représentent de la manière la plus réaliste possible (taille et visage) ces pauvres victimes de la barbarie nazie. Toutes les personnes présentes ressentirent une certaine émotion en pensant à ces enfants, symboles d’innocence et d’insouciance, envoyés à la mort sans aucune pitié.
Pour sensibiliser nos élèves à ce moment fort de notre voyage, nous leur avions confié, au début de la semaine, une peluche de lapin surnommée Hugo depuis le début de la semaine. Gardée et choyée par nos deux élèves Emma Durieux et Louka Glorieux, ces derniers ont fait « vivre » Hugo (voir photos ci-dessous) et l’ont, aidés de tous les autres jeunes du voyage, rempli d’ondes positives. Le t-shirt d’Hugo a été signé par tous. En guise d’hommage de notre groupe pour les enfants martyrs de Lidice, nous avons laissé Hugo au pied de la statue en bronze.
Ce moment fort a permis de renforcer encore davantage le désir de mémoire de tous.
Le 27 mai 1942, Jan Kubis et Josef Gabcik commettent un attentat contre Heydrich, le gouverneur SS de la Tchécoslovaquie. Ils parviennent à le blesser et il mourra d’une septicémie quelques jours plus tard.
Pour se venger, la Gestapo organisera non seulement l’exécution de centaines de personnes mais aussi le massacre de Lidice (voir Étape 5). Les soldats allemands veulent évidemment retrouver les deux auteurs de l’attentat, une chasse à l’homme est lancée. Les deux soldats tchécoslovaques ont réussi à s’echapper de l’endroit où a eu lieu l’attentat, ils sont alors cachés pendant plusieurs jours en passant de famille en famille qui soutiennent la résistance. Leur but est de retourner en Angleterre.
La Gestapo remonte leur piste et retrouve une famille les ayant hébergés : une femme de cette famille préfère se suicider avec une capsule de cyanure plutôt que de donner des informations, les autres sont envoyés à la Kommandantur pour être torturés et interrogés. L’enfant de cette même famille est saoulé au cognac par les SS qui le choquent aussi psychologiquement en lui montrant la tête décapitée de sa mère (qui s’est donnée la mort) dans un aquarium. Il parle alors de la cathédrale Saints-Cyrille-et-Méthode de Prague comme un refuge potentiel des deux fuyards. Un autre résistant tchèque trahit aussi ses camarades, contre une somme d’un million de reichmarks, en désignant le même endroit.
La Gestapo débarque dans ce lieu sacré avec des centaines d’hommes. Les deux soldats, rejoints par quelques résistants, se réfugient alors dans la crypte qu’ils barricadent. Les Allemands tentent de les noyer en la remplissant d’eau. Pour éviter cette mort atroce ou de se rendre, les hommes se tirent une balle dans la tête. Un musée leur est consacré à l’endroit même.
L’évêque qui les avait aidés se livre à la Gestapo pour éviter des représailles sur la population. Il sera exécuté sommairement. Cette histoire a été racontée par l’écrivain Laurent Binet à travers son livre Hhhh (« Himmlers Hirn heiBt Heydrich » ou traduit « le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich ») en 2010 et un film du même nom date de 2017 (mais la fin du long métrage ne concorde pas avec la vérité historique).
Cette activité fut la dernière visite guidée de Claude Clarembaux (du War Heritage Institute) et de Michel Descamps (du service Hainaut Mémoire). Nous tenons à les remercier encore une fois chaleureusement pour la qualité et la précision de leurs explications.
L’après-midi s’est prolongé par une visite libre de la magnifique ville de Prague (l’horloge astronomique, le pont Charles, le château et son quatier, etc.). Après une semaine chargée en émotions, certains élèves ont pu aussi profiter d’un moment récréatif à l’Aqua Palace (immense complexe de piscines intérieures et extérieures, avec jacuzzi, hammam, etc.).
Nous espérons que cette semaine aura encore renforcé l’intérêt pour l’histoire et le désir (ou devoir) de mémoire de nos élèves qui sont (ou seront bientôt) des citoyens critiques et responsables devant voter et agir pour l’avenir de la société. N’oublions jamais le passé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Pour nous avoir permis de vivre cette expérience unique, nous tenons une dernière fois à remercier :
– la CNPPA (Confédération nationale des prisonniers politiques et ayant droits)
– la Fédération Wallonie-Bruxelles (à travers le subside accordé en rapport avec le décret mémoire)
– le Rotary Club de Tournai
– le Lions Club Cathédrale de Tournai